A GLORIOUS MESS

La syllogomanie – un exercice d'équilibre entre génialité et surmenage. Les syllogomanes maîtrisent-ils le chaos ou est-ce le chaos qui les maîtrise? Le film nous plonge dans le quotidien de quatre syllogomanes. Nous voyageons au sein de ces grottes qui renferment des trésors, nous découvrons leurs inventions géniales, leur bricolage dangereux et fouillons dans leurs immenses archives. Nous nous retrouvons plongés au sein de conflits que leur différence entraîne et qu'ils doivent pourtant surmonter, conflits avec leurs parents, leurs voisins, les institutions. Un regard intime sur un phénomène qui se révèle tout aussi irritant que fascinant.

Deux pourcent environ de la population suisse passent pour être des « Messies » maladifs, soit des accumulateurs compulsifs ou syllogomanes. Ils collectionnent avec une telle ampleur et intransigeance que leur comportement les isole. Ils deviennent un fardeau pour leurs proches ou se tapissent entre quatre murs – pour autant qu'il y ait encore de la place. Les cas particulièrement abstrus ne sont pas présentés que dans la presse à sensation: ils sont aussi une insulte au sentiment d'ordre et de modération d'une Suisse bien rangée. Ulrich Grossenbacher a choisi une autre voie. Avec curiosité, il a rencontré quatre personnes qui ont des rapports différents avec leur « fouillis ». Arthur, un paysan célibataire, vit à sa façon dans sa ferme. Il ne tire pas de fierté de ses géraniums mais de ses tracteurs, excavatrices, voitures et camions rouillés. Sa passion pour les poids lourds donne du grain à moudre à l'administration communale depuis des années.
Elmira fait preuve d'une extrême souplesse dans son appartement. Les piles de journaux et de cassettes d'un mètre de haut qu'elle doit franchir s'amoncèlent, pratiquement aucune émission culturelle ne peut échapper à l'enregistrement. Karl et sa femme Trudi habitent une grande ferme, une des dernières chambres praticable est la cuisine. Elle déplore la vie sociale perdue: même leurs propres enfants ne leur rendent plus visite. Elle a posé un ultimatum: Soit il fait de la place soit elle déménage. Thomas, le bricoleur, invente des appareils astucieux avec de la ferraille récupérée. Son atelier déborde comme son imagination.

Certes, Grossenbacher n'appréhende pas la contrainte de la contemplation quand il dévoile lentement, avec délectation, par un panoramique, la dimension du chaos ou quand il suspend une minicaméra au cou de ses protagonistes pour filmer leurs passages à travers les diverses strates de leur archéologie intime. La musique précisément placée souligne parfois le regard ironique. Mais c'est l'intérêt démontré pour ses protagonistes, leur expérience, leur créativité, leurs stratégies de refoulement et les explications qu'ils donnent de leur agissement qui le motive. Derrière les excentricités apparaissent des caractères complexes. Ils ne se présentent pas, en premier lieu, comme des malades, mais comme des personnes avec un intérêt débordant pour tout. Ils nous confrontent avec des questions: qu'est-ce qui est normal? Qu'est-ce qui est maladif? Le respect de Grossenbacher pour ses « Messies », son sens de la dramaturgie et sa poésie visuelle créent des scènes pleines de comique de situation et de bizarreries sans pour autant que notre rire éclate aux dépens des protagonistes.